Car les excuses, les concessions, la modestie elle-même bien gouvernée, ne sont que des arts de l’ostentation. -FrançoisBacon
La série The Tudors, diffusée sur Showtime, retrace le règne historique du roi Henri VIII sur l’Angleterre du début du XVIe siècle. Les relations entre les personnages sont marquées par le pouvoir, la luxure, la trahison et la cupidité, ainsi que par certains vices mineurs. Brillamment écrit et interprété, le spectacle met en lumière de nombreux éléments du comportement humain. Ici, nous nous concentrons sur la rencontre entre le pape Paul III, superbement interprété par Peter O’Toole, et François, le bien nommé roi de France(saison 2, épisode 8).
François fait le pèlerinage à Rome pour se présenter comme un abject pénitent. Ce qu’il espère retirer de cette audience n’est pas tout à fait clair. En revanche, le pape ne tarde pas à exprimer ses souhaits. Il a excommunié le roi anglais renégat, et il a besoin de François pour lui infliger la punition. « Vous êtes un grand prince catholique », dit-il, « vous avez des armées, des navires, des canons ». Puis, dans la phrase clé, le pape poursuit : « Je vous demande donc, en toute humilité, en tant que Saint-Père, d’envahir l’Angleterre, de supprimer et de tuer l’État de la pomme et de ramener ce pays à notre foi commune« .
Le pape prend une pose de pouvoir psychologique. Il doit le faire parce qu’il est une autorité spirituelle, pas une autorité mondaine. S’il avait les moyens d’envahir l’Angleterre, il pourrait le faire lui-même. Le roi de France – contrairement à Henri d’Angleterre – ne prétend pas à une autorité spirituelle rivalisant avec celle du pape, mais il peut mettre une armée sur le terrain. Les bases de pouvoir du pape et du roi sont donc en parfaite opposition. Le pape semble reconnaître que la mise au pas d’Henri dans le monde terrestre l’emporte sur son châtiment dans l’autre monde, mais il dépend du roi François pour y parvenir. Au niveau des causes et des effets terrestres, le pape est le suppliant et le roi François est l’homme de moyens.
Il est donc très intrigant que les rôles sociaux soient inversés. Le pape possède tous les attributs du pouvoir, tandis que le roi François se prive de toute valeur. Le pape projette un amour paternel sévère ; le roi lui baise les pieds et propose de mourir si on le lui demande. Le rituel de la revendication du pouvoir papal est si parfaitement orchestré qu’il est – au début – difficile de voir qu’il n’a pas de dents réelles. Il s’agit d’un bluff. Le roi François semble finir par s’en rendre compte, puisqu’il n’envahit jamais l’Angleterre. Au lieu de cela, il doit se contenter de mettre en échec une armée anglaise envahissante à Boulogne.
L’épisode, qui mérite d’être savouré plus d’une fois, montre comment l’exercice du pouvoir devient un jeu lorsque la coercition n’est pas possible. L’autre partie doit consentir à une revendication de pouvoir. De nombreux chefs religieux ont perfectionné cet art de l’influence sociale. Leur succès est remarquable lorsqu’il n’y a pas de ressources matérielles ou de récompenses ou punitions physiques à donner ou à refuser, et lorsqu’aucun argument logique n’est avancé pour forcer le consentement du destinataire.
Le pape domine le roi de France par une représentation théâtrale et l’exécution d’un lien affectif supposé caractéristique d’un père et d’un fils, ce qu’ils ne sont pas. Toute la rencontre est, pour ainsi dire, une simulation. Les appels répétés du pape à sa propre humilité sont les fioritures rhétoriques qui transforment son discours en chef-d’œuvre (D’Errico, 2020 ; Exline et al., 2004 ; Heck & Krueger, 2016 ; et peut-être Hoption, Barling, & Turner, 2013, bien qu’il ne soit pas clair si le leadership d’ O’Toole – Paul était transformationnel). Considérons l’alternative. Le pape aurait pu jouer le rôle du père tout-puissant et punitif. Il aurait pu menacer explicitement François d’excommunication. Il aurait pu déclarer : « Je suis le pape et tu dois faire ce que je dis ! ».
Pourquoi le pape (ou plutôt le scénariste) n’adopte-t-il pas cette approche ? En supposant que le pape soit un tacticien intelligent et un théoricien du jeu intuitif, il se rendra compte qu’un défi direct comporte le risque d’une défaite publique. En professant son humilité et son manque d’armes, le pape semble s’en remettre à la décision d’obéir au roi. Si le roi n’accomplit pas sa mission, il se retrouve dans le rôle de l’enfant rebelle, que le pape paternel a le pouvoir de pardonner. Comme le fait remarquer Paul (O’Toole) lui-même, « un père doit toujours chercher à pardonner à ses enfants ». En d’autres termes, le pape a inscrit sa propre clause de sauvegarde dans le contrat avant de dire au roi ce qu’il attendait de lui. En même temps, tout en préservant sa prérogative de pardonner, le pape indique clairement qu’il ne faut pas compter sur sa miséricorde. En ce qui concerne Henri, il affirme que ses « péchés contre nous et contre notre foi sont trop profonds pour être pardonnés ».
Bien que la demande du pape au roi soit techniquement un bluff, il est possible d’y survivre. Le pape sait qu’il ne peut pas perdre, et l’inimitable assurance de Peter O’Toole nous fait comprendre qu’il en est parfaitement conscient.
Note : Alessandro Farnese, le vrai pape Paul III, était un homme très intéressant. Pour le symbolisme des oiseaux, voir ici.
Cet article a été rédigé avec Erin Gresalfi et Hanna Zwerver.
Références
D’Errico, F. (2020). La persuasion basée sur l’humilité : Individual differences in elicited emotions and political evaluation. International Journal of Communication, 14, 3007-3026.
Exline, J. J., Campbell, W. K., Baumeister, R. F. Joiner, T., & Krueger, J. I. (2004). Humilité et modestie. In C. Peterson, C. & M. E. P. Seligman (Eds.), Character strengths and virtues : A handbook and classification (pp. 461-475). New York, NY : Oxford University Press.
Heck, P. R. et Krueger, J. I. (2016). Social perception of self-enhancement bias and error. Social Psychology, 47, 327-339.
Hoption, C., Barling, J. et Turner, N. (2013). « It’s not you, it’s me » : transformational leadership and self-deprecating humor. Leadership and Organization Development Journal, 34(1), 4-19.