Points clés
- Il est naturel de vouloir éviter les sentiments désagréables, de se distraire des pensées et des émotions pénibles.
- L’évitement a un prix. Il peut conduire à l’anxiété, à la dépression, à la colère et au sentiment de ne pas être pleinement vivant.
- Une technique simple peut nous aider à transformer l’évitement en une meilleure conscience et acceptation de soi.
Dans ce billet, je vais partager une technique simple mais puissante pour apprendre à s’asseoir et à tolérer les sentiments et les pensées difficiles. Il s’agit d’une méthode simple pour apprendre à mieux se connaître et faire de la place aux parties de nous-mêmes que nous avons repoussées ou avec lesquelles nous avons perdu contact parce qu’elles semblent, ou ont semblé par le passé, trop inconfortables ou menaçantes.
Sur une note plus légère, c’est aussi une technique utile pour ralentir en période de stress ou de conflit, pour faire le point avec soi-même à la fin d’une journée mouvementée et pour se reconnecter avec son moi plus calme et plus enraciné. Bien que ce billet traite principalement de l’utilisation de cette technique pour le développement personnel et la guérison psychologique, il s’agit également d’un excellent complément à toute pratique de la pleine conscience et d’un moyen agréable d’aller au-delà de la méditation axée sur la respiration. Si vous vérifiez constamment les médias sociaux sur votre téléphone ou votre ordinateur portable, cette technique peut être un moyen utile de ralentir, de calmer votre esprit, de faire une pause pour vous distraire et peut-être même de découvrir ce dont vous essayez si fort de vous distraire.
L’évitement : un petit détour
Avant de décrire la technique, il peut être utile de faire un rapide détour par le concept d’évitement.
Il existe un point de recoupement intéressant entre la psychologie occidentale et la psychologie bouddhiste dans leurs explications des causes profondes de la souffrance. L’une des principales sources de souffrance persistante est ce que la psychologie occidentale appelle l’évitement et la psychologie bouddhiste l’aversion. L’évitement est d’abord une stratégie de survie qui nous aide à surmonter les expériences douloureuses et effrayantes en bloquant les sentiments qui sont tout simplement trop accablants pour être vécus en toute sécurité.
Mais l’évitement a un coût : il faut énormément d’énergie pour tenir à distance des sentiments puissants, qui menacent continuellement de refaire surface, provoquant de l’anxiété, de la dépression ou de la colère qui nous empêchent de profiter de la vie. Lorsque nous commençons à nous isoler des sentiments douloureux, nous risquons également de perdre l’accès aux sentiments positifs. Peu à peu, nous nous sentons de moins en moins authentiques et vivants.
Il est tout à fait naturel de vouloir éviter la douleur émotionnelle. Le chagrin, la terreur, la honte, l’impuissance… sont des émotions puissantes et profondément désagréables. Lorsqu’elles sont suffisamment intenses, nous pouvons avoir l’impression de ne pas pouvoir les supporter. Si vous avez déjà éprouvé un chagrin intense à la suite d’une perte importante, ou la terreur qui résulte d’expériences traumatisantes, vous savez à quel point ces sentiments peuvent être accablants. Il est tout à fait naturel de se retrancher derrière ces sentiments, de se distraire continuellement, de bloquer autant que possible les souvenirs et les émotions qui nous angoissent ou qui menacent de nous submerger. Cela peut même ressembler à une question de vie ou de mort, à une question de survie.
Pour les enfants, en particulier, les émotions puissantes de peur, de chagrin et de honte peuvent être accablantes et trop intenses pour être gérées par eux-mêmes. Sans l’aide d’un adulte aimant et compréhensif, les enfants sont prêts à tout pour faire taire les émotions intensément douloureuses : ils se séparent des parties d’eux-mêmes qui portent ces sentiments (dissociation), s’automutilent ou deviennent colériques et agressifs, développent des pensées obsessionnelles et des rituels compulsifs, ou adoptent toute une série d’autres stratégies visant à les aider à faire face aux sentiments qui les effraient tant, et à s’en éloigner. À l’adolescence, ils peuvent se tourner vers l’alcool et d’autres drogues pour s’engourdir, se distraire constamment en ligne, se couper ou pratiquer d’autres formes d’automutilation pour substituer une source de douleur contrôlable à la douleur émotionnelle écrasante qu’ils évitent, et pour briser le sentiment d’engourdissement qui découle du blocage de la capacité à ressentir.
Finalement, à l’âge adulte, ils peuvent vivre ce qui ressemble à une guerre civile interne entre des parties divisées d’eux-mêmes qui veulent des choses contradictoires : l’attachement et l’intimité, le désir d’être vu et accepté, en conflit avec le désir de rester éloigné des autres afin d’éviter toute douleur supplémentaire.
Au cœur de tous ces comportements d’adaptation se trouve une stratégie de survie fondamentale : l’évitement des sentiments trop douloureux et trop effrayants pour être tolérés en toute sécurité.
Revenons maintenant à la technique simple que j’ai mentionnée au début de ce billet. Je l’appelle « De quoi suis-je conscient maintenant? » et son but est de nous aider à prendre conscience, en toute sécurité et avec précaution, des sentiments, des souvenirs et des croyances inconfortables que nous évitons peut-être. Cela nous permet de voir quels sont les sentiments pour lesquels nous devons faire de la place, ce qui nous inquiète, quelles sont les parties de nous qui demandent de l’attention, quelles sont les vieilles peurs qui se sont déclenchées, ou quelles sont les vieilles croyances inutiles que nous sommes enfin prêts à abandonner.
La technique
Commencez par vous asseoir dans un endroit calme et privé. Si vous disposez d’un minuteur, réglez-le sur cinq, dix ou quinze minutes, afin de limiter l’expérience. Prenez quelques minutes pour vous ancrer : essayez d’inspirer en comptant jusqu’à trois et d’expirer un peu plus lentement en comptant jusqu’à quatre ou cinq. Cela ralentira votre rythme cardiaque et vous fera entrer dans un état légèrement plus détendu (« parasympathique »).
Ensuite, posez-vous doucement la question : « De quoi suis-je conscient ? ».
Il se peut que vous preniez d’abord conscience des sons et des stimuli visuels de votre environnement. C’est bien, mais après quelques instants, déplacez votre attention sur votre corps : que remarquez-vous lorsque vous concentrez doucement votre attention sur votre corps ? Votre posture est-elle ouverte ou fermée ? Une partie de votre corps est-elle tendue ou inconfortable ? Asseyez-vous avec cette tension, remarquez-la et ne la combattez pas. Votre mâchoire, votre poitrine ou votre estomac sont-ils tendus ? Acceptez tout ce que vous remarquez avec curiosité et sans jugement.
Vous pouvez également remarquer des pensées et des sentiments. Quels qu’ils soient, adoptez une attitude curieuse et acceptante à leur égard, en les accueillant sans les laisser prendre le dessus ou vous sortir de cette position d’observateur doux et curieux. Il n’est pas nécessaire de repousser quoi que ce soit, ni de s’y perdre. Votre objectif est de prendre conscience des sensations, des sentiments et des pensées qui se présentent.
Chaque fois que vous vous sentez entraîné par des pensées ou des fantasmes, ou que vous êtes submergé par des sentiments puissants, vous pouvez soit répéter la question « De quoi suis-je conscient ? », soit revenir au schéma respiratoire simple par lequel vous avez commencé, pour vous recentrer.
La partie la plus difficile de cette expérience consiste à rester présent aux sentiments, aux sensations et aux images qui surgissent. C’est à ce moment-là que nos pulsions d’évitement risquent le plus d’être activées. Il se peut que nous nous souvenions soudain d’un courriel que nous devons écrire, d’un texte auquel nous devons répondre, de quelque chose que nous devons sortir du congélateur pour le décongeler en vue du dîner. Ces pensées ont toutes en commun ce que j’appelle une illusion d’urgence, un sentiment faux mais puissant selon lequel « je dois arrêter ce que je suis en train de faire et m’occuper de cette tâche urgente ». Il s’agit rarement d’une tâche qui ne peut pas attendre quelques minutes, et souvent, il s’agit simplement de la partie craintive de notre esprit qui cherche à prendre de la distance par rapport aux sentiments, aux sensations et aux images avec lesquels nous sommes en train de nous asseoir. Notez mentalement ce qui vous éloigne de façon si urgente du moment présent et ramenez votre attention en répétant la question « De quoi suis-je conscient ? ».
Cette technique simple permet de créer un espace restreint mais puissant entre l’adulte qui s’observe et l’expérience intérieure qu’il observe. Le processus de création de cette petite séparation entre l’adulte observateur et l’expérience émotionnelle que nous observons porte plusieurs noms : la dissociation dans la thérapie des systèmes familiaux internes (IFS) et la défusion dans la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT). La dissociation nous permet de prendre un peu de distance par rapport à ce que nous vivons, afin de pouvoir le voir clairement sans y être immergé ou submergé. La dissociation permettra à l’adulte compétent que vous êtes d’écouter et de répondre avec confort, compassion et réconfort aux parties de vous qui sont en détresse. Elle augmentera votre conscience de votre propre expérience intérieure et réduira lentement toute tendance à éviter les émotions difficiles.
Parfois, il suffit de créer cette douce conscience pour nous aider à nous sentir plus détendus et en contact avec notre expérience intérieure. À d’autres moments, nous pouvons vouloir travailler avec tout ce dont nous prenons conscience. Dans sa discussion sur le modèle RAIN dans son merveilleux livre Radical Compassion, la psychologue bouddhiste Tara Brach décrit les étapes Recognize, Accept, Investigateet Nurture, qui commencent par sa version de cette technique de prise de conscience. Je préfère explorer, et c’est ce que j’encourage mes clients à faire : une fois qu’ils sont assis avec la conscience de sentiments ou de sensations difficiles, je les invite à explorer avec un cœur tendre ce qu’ils voient, ressentent ou pressentent. Ces sentiments ou ces sensations appartiennent-ils à une partie plus jeune d’eux-mêmes ? Peuvent-ils voir cette partie ? Quel âge a cette partie ? Peuvent-ils sentir ou voir ce que cette partie attend d’eux ? Peut-il voir ou sentir quel événement ou quelle expérience a déclenché ces sentiments ou ces sensations ? Répondre avec compassion et réconfort aux réactions ou aux besoins non satisfaits des parties les plus jeunes de nous-mêmes est l’aspect nourricier du modèle RAIN, et c’est un élément essentiel des modèles thérapeutiques tels que l’IFS ou la thérapie « par les parties ». C’est aussi quelque chose que nous pouvons faire par nous-mêmes et qui commence par une simple question : « De quoi suis-je conscient? »
Lectures conseillées :
- Tara Brach, Compassion radicale
- Janina Fisher, Healing the Fragmented Selves of Trauma Survivors (Guérir le moi fragmenté des survivants de traumatismes).
- Russ Harris et Steven Hayes, ACT Made Simple
- Richard Schwartz, Pas de mauvaises parties