L’Ombre du Djinn et la Malédiction des Semelles : Un Conte du Baobab d’Afrique

Sous le grand baobab, les anciens racontent que dans une ville oubliée aux maisons en banco, bercée par le souffle chaud du désert, une légende murmure à travers les générations. C’est l’histoire d’un djinn espiègle et malveillant qui rôde aux abords de la grande mosquée, invisible comme l’air qui danse entre les palmes, mais bien réel dans ses intentions ténébreuses. Son arme n’est ni l’épée ni le feu, mais un petit flacon de verre contenant un venin vert et visqueux, dont l’odeur douce et trompeuse masque une malédiction profonde. Chaque vendredi, lorsque les fidèles déposent leurs chaussures avec confiance avant la prière, le djinn choisit sa proie avec une patience de serpent, versant trois gouttes de ce liquide maudit sur une semelle innocente. Celui qui chausse ces souliers devient la marionnette d’un destin brisé, enchaîné à une spirale de disputes, de maladies et de troubles de l’âme. Aujourd’hui, je vous invite à voyager dans ce récit, à sentir le sable sous vos pieds et à écouter les échos de cette sagesse ancienne, où l’invisible se mêle au visible dans une danse éternelle entre le bien et le mal.

Le Djinn et Son Flacon Maudit

Dans cette ville où le soleil caresse les murs de terre cuite et où les rues résonnent des prières du vendredi, le djinn se cache à la lisière du monde visible, là où les regards humains glissent sans s’attarder. Il n’est ni un géant des déserts ni un esprit des forêts profondes, mais une présence subtile, semblable à une ombre qui frôle les âmes. Son flacon de verre, presque insignifiant, renferme un liquide vert et visqueux qui scintille comme des larmes empoisonnées sous la lumière tamisée. Chaque vendredi, alors que les fidèles se rassemblent dans un murmure pieux, le djinn observe depuis son repaire d’ombre, ses yeux perçant l’invisible pour choisir sa victime. Il sourit d’un air mauvais, un rictus qui glace l’air autour de lui, et murmure des incantations silencieuses tandis qu’il approche le flacon. ‘Que la discorde entre avec toi’, souffle-t-il, laissant couler trois gouttes du venin sur le cuir d’une paire de sandales noires, simples mais bien entretenues. Puis, comme un souffle évanescent, il disparaît dans une brise légère, ne laissant derrière lui qu’une trace invisible, mais bien présente, attendant patiemment que le poison agisse. La mosquée, lieu de paix et de recueillement, devient ainsi le théâtre d’une machination insidieuse, où la confiance des croyants est trahie par un être que seuls les initiés peuvent percevoir.

Sally : L’Homme Simple aux Pieds Ensorcelés

Sally est un homme simple et respecté, dont la vie s’écoule avec la régularité du flux et reflux des marées. Travaillant comme comptable dans une petite entreprise de commerce, il mène une existence frugale, sans excès, rythmée par les rires de son fils Mamadou, âgé de cinq ans, et la douceur de sa femme Aïsatou. Leur modeste maison, nichée au fond d’une ruelle où les enfants jouent au coucher du soleil, respire la sérénité et l’amour. Chaque vendredi, Sally se rend à la grande mosquée, vêtu de son boubou blanc immaculé, ses sandales noires fidèlement à ses pieds. Ce vendredi-là, pourtant, quelque chose d’invisible l’attend à l’entrée du lieu saint. Il dépose ses chaussures près du grand arbre, sans se douter qu’elles ont été choisies par le djinn. À la fin de la prière, alors que la foule se disperse dans une ambiance de quiétude, Sally enfile ses sandales et ressent un léger frisson, un courant froid qui traverse la plante de ses pieds comme une caresse de glace. Il n’y prête pas attention, salue les anciens avec un sourire et rentre chez lui, oubliant cette sensation étrange dans le tumulte du quotidien. Les jours suivants, des signes subtils commencent à apparaître, tel un voile sombre qui s’étend lentement sur sa vie. Le lundi, il oublie un dossier important au bureau, une négligence qui lui est étrangère ; le mardi, une dispute éclate avec Aïsatou pour une remarque anodine, des mots acérés qui blessent comme des épines ; le mercredi, Mamadou se réveille en pleurant, hanté par une ombre noire dans sa chambre. Sally tente de rassurer tout le monde, attribuant ces événements à de simples coïncidences, mais le mal a déjà commencé à tisser sa toile, enlaçant son esprit dans des fils invisibles.

La Spirale des Malheurs et l’Appel aux Ancêtres

La situation se dégrade inexorablement, comme une tempête qui gronde à l’horizon. Le vendredi suivant, en sortant de la mosquée, Sally trébuche sans explication sur le seuil et se blesse à la cheville, sous le regard étonné des fidèles. Le soir même, Aïsatou découvre une tache verte et collante près des sandales, une marque sinistre que l’enfant nie avoir causée. Les semaines passent, et l’emprise du djinn se renforce : Aïsatou devient froide et distante, accusant Sally d’être absent, de ne plus les aimer ; Sally, épuisé sans raison, se sent vidé de son énergie, comme si une force invisible suçait sa vitalité. Son patron le convoque pour ses retards répétés et ses erreurs de calcul, alors que les chiffles ont toujours été son domaine de maîtrise. Même les voisins murmurent, chuchotant qu’il a l’air possédé, leurs regards chargés de suspicion. Les cauchemars viennent ensuite, chaque nuit le plongeant dans un désert sans fin, poursuivi par une silhouette noire aux yeux verts flamboyants. Il court, mais ses pieds sont enchaînés à des chaussures brûlantes qui s’enfoncent dans le sable, le retenant prisonnier de ses propres peurs. Un soir, alors qu’il s’apprête à prier, Sally s’écroule, sans force, et Aïsatou hurle, appelant les voisins à l’aide. Un ancien, venu l’assister, pose sa main sur l’épaule de Sally et murmure : ‘Il faut l’emmener au village. Ce n’est pas une maladie d’hôpital, quelque chose, ou quelqu’un, le retient dans l’ombre.’ C’est ainsi que Sally, faible et perdu, accepte de contacter son oncle Amadou, un gardien des traditions vivant dans leur village d’origine, dont les connaissances ancestrales pourraient le libérer de cette malédiction enracinée.

Le Retour aux Sources et le Rituel de Libération

La nuit est lourde et pesante lorsque Sally, Aïsatou et leur fils Mamadou entreprennent le voyage vers le village natal, un trajet de plusieurs heures à travers la savane où les ombres dansent sous la lune. À leur arrivée, Amadou les attend sur le seuil de sa case, vêtu de son grand boubou bleu, ses yeux sages scrutant l’horizon. ‘Viens, la nuit tombe et nous avons du travail à faire’, dit-il d’une voix grave, sans un mot de plus. Sous le grand baobab sacré du village, entouré de lucioles qui brillent comme des étoiles terrestres, Amadou prépare le rituel : un petit bol d’eau claire de source sacrée, un fagot de feuilles aromatiques et une poignée de cauris, ces coquillages utilisés pour la divination. Sally s’assoit en face de lui, épuisé et confus, tandis qu’Aïsatou reste en retrait, silencieuse mais inquiète. Amadou trace un cercle sur le sol avec de la poudre blanche, un symbole de protection, et ordonne à Sally d’y entrer. Dès que son pied franchit la limite, une étrange sensation l’envahit, comme si un poids invisible se posait sur ses épaules. Amadou commence alors ses invocations, des prières anciennes qui résonnent dans la nuit comme un écho oublié du passé, puis il saisit les sandales maudites et les approche de la flamme d’une lampe à huile. Le vent se lève brusquement, sifflant entre les arbres comme un cri de protestation, et un rire lointain et sinistre se fait entendre. ‘Il ne veut pas partir’, murmure Amadou, le regard sombre, avant de jeter les sandales dans le feu et de les arroser d’eau sacrée. Les flammes prennent une teinte verte d’âtre, tourbillonnant comme si elles étaient vivantes, et Sally sent une brûlure intense dans ses pieds, un feu qui consume les derniers liens du mal. Soudain, un hurlement spectral retentit, les flammes s’éteignent, et Sally s’écroule, épuisé mais libéré, tandis que le djinn, chassé et vaincu, s’éloigne dans l’obscurité, rongeant sa rage.

La Sagesse du Baobab : Ce conte nous enseigne que les malheurs ne sont pas toujours le fruit du hasard, mais souvent le résultat de forces invisibles qui exploitent nos vulnérabilités. Le djinn, symbole des influences négatives qui rôdent dans les interstices de notre vie, nous rappelle que la confiance aveugle peut nous rendre susceptibles aux malédictions, qu’elles soient spirituelles ou émotionnelles. La libération de Sally grâce au rituel ancestral souligne l’importance de retourner aux sources, de se reconnecter à la sagesse des anciens et aux traditions qui ont traversé les âges. Dans un monde contemporain où le stress, les conflits et les maladies inexplicables nous assaillent, cette histoire nous invite à chercher au-delà des apparences, à écouter les signes subtils et à puiser dans nos racines pour retrouver l’équilibre. Elle nous rappelle aussi que les objets du quotidien, comme les chaussures, peuvent être des portes vers l’invisible, et que la purification, qu’elle soit physique ou spirituelle, est essentielle pour briser les chaînes du malheur. En fin de compte, la morale est claire : face aux épreuves, il ne faut ni fuir ni nier, mais affronter avec courage et sagesse, en s’appuyant sur la communauté et les enseignements des générations passées, car c’est dans cette union que réside la véritable force pour surmonter l’adversité.

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