Le monde post-pandémique sera façonné par la façon dont nous réagissons à la peur.


En marchant dans les rues vides de Brasilia, avec mon masque, j’ai eu du mal à digérer les sentiments qui me prenaient aux tripes.

La tristesse grise des trottoirs déserts de Brasilia – où manquent les pas pressés de ses citoyens frénétiques – contrastait avec les souvenirs qui surgissaient dans mon esprit. Des souvenirs d’un dîner en Norvège, avec quinze hommes pleins de rires et de chants ; d’un voyage en train chaotiquement heureux entre les magnifiques et apaisantes montagnes enneigées de Laponie et l’élégante Stockholm ; de quelques bières avec un grand ami dans un pub effervescent de Londres ; et d’une fête de carnaval brésilien avec tant de gens vibrants qui dansent, discutent et s’embrassent.

Ces choses se sont passées il y a si peu de temps. Pourtant, je ne peux m’empêcher de ressentir une horrible nostalgie, comme si ces souvenirs appartenaient à un monde qui a peut-être disparu à jamais.

Que devons-nous penser de ce nouveau monde dans lequel organiser une fête est un acte méprisable et se tenir à deux mètres de tout le monde est un acte d’amour et de conscience sociale ?

Cette pandémie ravage non seulement nos vies, mais aussi notre culture. Nous n’avons aucune idée de ce que deviendra la société après la pandémie. Ce mystère se situe dans l’avenir. Mais la mort de notre culture a lieu maintenant, et c’est un deuil douloureux.

D’immenses défis nous attendent. Nous devons réinventer nos relations, notre culture et notre économie. Le monde post-pandémique dépend de ce que nous commençons à créer maintenant, et nous devons agir avant que la peur ne pénètre et ne plante ses racines trop profondément dans nos os.

Pouvons-nous vaincre notre peur ?

Depuis le début de la pandémie, vous avez probablement entendu plus d’une fois des phrases telles que « les gens ont peur », « le monde est plein de peur », « la peur se propage plus qu’un virus » et « ne cédez pas à la peur ».

Bien que ces messages semblent clairs, il n’y a pas grand-chose que nous puissions faire pour éviter ou vaincre notre peur.

La peur est encore un territoire hermétique, rarement accessible à notre conscience. Mais nous devons y apporter un peu de lumière afin de pouvoir naviguer dans ce moment planétaire avec clarté et conscience.

La peur n’est pas nécessairement un ennemi. En tant que chaman, je l’ai étudiée pendant des décennies. Je ne compte plus les fois où les gens sont venus me voir pour me demander une recette pour se débarrasser de leurs peurs. Heureusement, je ne dispose pas d’une telle formule, sinon ils ne seraient pas arrivés jusqu’à avoir peur du coronavirus aujourd’hui.

La peur est un élément fondamental pour notre préservation. Sans elle, nous sommes des créatures sans défense qui n’ont que peu de chances face aux nombreuses menaces qui nous entourent. Je sais que c’est inconfortable, mais la peur est une émotion inévitable et nécessaire.

Lorsque l’on prend du recul et que l’on observe le rôle de la peur dans l’évolution de l’humanité, on constate qu’elle a toujours été présente. Elle est à la fois positive et négative. La peur est une force créatrice pure, comme un pigment dans les mains d’un artiste appelé la vie. La vie utilise ce pigment dans la tapisserie de la création et de la destruction, cette œuvre d’art vivante faite d’ordre et d’harmonie mêlés au chaos et au désastre.

Craignant les bêtes dangereuses, les premiers hommes se sont regroupés pour se protéger les uns les autres. C’est cette même peur qui a poussé nos premiers ancêtres à repousser les limites de leur cerveau et à faire preuve d’ingéniosité pour créer les premières armes rudimentaires. Par crainte de mourir de faim, l’humanité a abandonné la vie nomade et s’est installée dans des villages agricoles. La peur a poussé au développement de la science, afin de contrôler les forces menaçantes de la nature, qu’il s’agisse de maladies ou de conditions météorologiques. Craignant le chaos et la violence inhérents à notre espèce, nous avons créé des lois, une justice et des mécanismes de contrôle social. Sans la peur au ventre, nous n’aurions jamais évolué vers la civilisation que nous sommes devenus.

La peur ne joue pas seulement un rôle dans le développement de notre civilisation. Elle est également essentielle à son maintien. Nous avons en nous des instincts sauvages, bien plus forts que notre amour et notre sens de la justice. Dans le feu de la colère, par exemple, ce qui nous empêche d’exploser et de chercher la destruction, ce n’est pas la compréhension rationnelle du fait que la violence est mauvaise et qu’il faut au contraire être positif et constructif – entendre une telle chose quand on est en colère ne ferait que nous irriter davantage ! Ce qui nous empêche, c’est la peur des conséquences de notre violence. Au quotidien, nous faisons des choses que nous ne voulons pas, nous acceptons des choses que nous n’aimons pas et nous réprimons nombre de nos impulsions et de nos souhaits par peur. Les codes sociaux et les règles si essentiels au maintien de l’ordre et de la compréhension dans notre monde ne fonctionneraient jamais sans une peur profonde dans nos tripes, qui nous motiverait à les respecter.

Mais cette même peur qui peut nous rassembler et nous rendre créatifs peut aussi nous paralyser et faire de nous les créatures les plus méprisables et les plus horribles. Nous commettons des atrocités à cause de la peur.

La peur est un élément fondamental de notre nature

La peur elle-même n’est ni bonne ni mauvaise. Elle fait simplement partie de ce que nous sommes – une composante émotionnelle essentielle de notre structure psychique. Notre véritable lutte contre la peur a commencé lorsque nous avons commencé à craindre notre peur. Il s’agit d’un phénomène très étrange, bien qu’il se produise très souvent dans notre monde.

Notre éducation patriarcale nous a tous préparés, hommes et femmes, à être des guerriers, à supprimer nos peurs et à ne montrer aucune faiblesse. Pour conquérir une place dans ce monde compétitif, nous devons cacher nos nombreux doutes et prétendre que nous sommes forts, sages et pleins d’assurance.

Montrer notre vulnérabilité n’est pas sûr, alors nous évitons d’en parler, même à nous-mêmes. Nous avons peur de nos peurs !

Pourtant, nous sommes là, enfermés chez nous, sacrifiant notre liberté et nos économies parce que nous avons peur des conséquences du contact humain à l’époque du coronavirus.

S’humilier collectivement face à notre peur est une expérience cathartique ! Oui, nous sommes vulnérables et nous avons peur. Et il n’y a rien de mal à cela.

La même peur, qui nous empêche de vivre un holocauste au vitriol, ne deviendra destructrice que si elle commence à nous paralyser.

Deux types de peur

Il existe deux types de peur. La première est instinctive. Nous pouvons l’observer chez tous les animaux sauvages de la planète. La peur se manifeste en réponse à une menace, inondant le corps d’adrénaline et nous mettant en état d’alerte, afin que nous puissions mieux nous défendre. Cet instinct de survie est puissant, beau et plein de vie.

Mais la deuxième forme de peur est psychologique et elle est bien plus dommageable. La peur psychologique commence par l’imagination. Nous créons des scénarios dans notre esprit, en essayant de calculer les menaces qui nous entourent et de définir des actions pour éviter le danger. Au nom de la survie, ce type de peur finit par miner notre vie, nous transformant en créatures paranoïaques basées sur la peur, essayant toujours de contrôler l’incontrôlable.

La vérité, c’est que nous sommes et avons toujours été en danger, avant même que le coronavirus ne commence à faire des ravages. La vie n’a jamais été sûre et nous devons apprendre à vivre avec.

Si nous essayons d’éviter le danger, nous devons éviter la vie.

Lorsque nous sommes déconnectés de notre instinct, nous sommes beaucoup plus vulnérables à la peur psychologique. Et plus nous nous abandonnons à la peur psychologique et essayons de tout contrôler à partir de notre esprit, plus nous perdons le contact avec notre instinct de survie. C’est un cercle vicieux qui affaiblit et sape notre force, notre joie et notre amour.

L’heure est à la prudence (mais pas à la panique)

C’est un moment de prudence et non de panique. Nous pouvons devenir fous, pathologiquement anxieux devant nos limites actuelles, ou nous pouvons utiliser cette même anxiété pour nous pousser en avant, en cherchant des solutions créatives pour les dommages collatéraux de la quarantaine.

Nous pouvons nous enfermer dans une coquille d’égoïsme, ou bien craindre pour ceux qui sont dans des situations plus précaires que les nôtres, et unir nos forces pour les aider.

Nous pouvons nous préserver à tout prix, ou nous pouvons partager nos mots, notre art, nos dons et nos ressources avec d’autres, participant ainsi à un effort collectif de préservation de notre espèce.

C’est notre choix face à notre peur qui déterminera qui nous sommes.

Puissions-nous garder nos cœurs forts, en cultivant l’amour et la compassion, afin de nous serrer les coudes et de relever ce défi non pas en tant qu’individus, mais en tant que collectivité. C’est plus noble, plus joyeux et bien plus efficace.

Nous nous débrouillons déjà bien en termes d’auto-préservation. Il n’y a pas grand-chose de plus à faire sur ce front pour l’instant. Continuons à faire de notre mieux, mais avec suffisamment d’humilité pour accepter le fait que nous ne pouvons pas tout contrôler. Ainsi, nous pourrons être conscients d’autres choses qui requièrent également notre attention. La vie n’est pas seulement une question de survie. La vie, c’est aussi l’amour, la solidarité et la joie.

Ne craignez pas seulement pour votre vie. Craignez aussi pour votre âme. Une vie sans âme est bien pire que la mort.

Qu’avez-vous à partager avec le monde ? Quel est votre don ? Que considérez-vous comme essentiel de cultiver en vous ? Que pouvez-vous faire aujourd’hui pour vous sentir vivant, au lieu de vous contenter de survivre ?

Prenez soin de votre amour, de votre passion, de votre spontanéité et de votre joie, car ce sont des médicaments puissants en ces temps difficiles.