Le Chat et le Poison : Une Légende Moderne sous le Baobab

Sous le grand baobab, les anciens racontent que les animaux parlent parfois aux hommes, non avec des mots, mais avec des gestes qui sauvent des vies. Dans les terres du fleuve Ogooué, une légende murmure l’histoire de Cossin, un homme dont l’existence fut bouleversée par un chat aux yeux de lune. Chaque matin, Cossin se levait avant l’aube, vêtu de ses habits usés par les espoirs déçus, prêt à affronter une nouvelle journée de quête vaine. Le soleil, encore endormi derrière les collines, éclairait à peine son visage marqué par l’épuisement des mois sans emploi. Amina, son épouse, le regardait d’un œil perçant, son visage sculpté par l’amertume et la frustration. Leurs regards se croisaient dans le silence lourd de la petite maison, où les rêves s’étaient évaporés comme la rosée sous le soleil tropical. C’était un matin comme les autres, mais le destin, tel un serpent caché dans l’herbe, préparait son venin.

L’Aube des Reproches

Le jour se levait à peine, teintant l’horizon de nuances orangées et pourpres, lorsque les premiers mots d’Amina tombèrent comme des pierres dans le silence du foyer. « Tu pars encore aujourd’hui à la recherche de rien, hein ? » lança-t-elle d’un ton sarcastique, ses lèvres pincées par le mépris. Cossin baissa la tête, sentant le poids de ses épaules s’alourdir sous le regard acéré de sa femme. Chaque syllabe prononcée résonnait en lui comme un écho douloureux, rappelant l’échec quotidien de ses recherches. « Regarde-toi, Cossin, depuis que je t’ai épousé. Tout ce que tu sais faire, c’est te lever le matin et faire des tours en ville pour chercher un travail qui ne viendra jamais », poursuivit-elle, sa voix chargée d’une colère accumulée au fil des lunes. Il sentait son cœur se serrer, chaque mot creusant un peu plus la faille entre eux, tel un fleuve qui érode ses berges. Amina croisa les bras, son corps vibrant d’une énergie négative qui semblait assombrir la pièce. « Quand mon frère était dans ta situation, il n’a pas traîné à faire quelque chose de sa vie. Mais toi, tu es juste un fardeau, un poids mort », ajouta-t-elle, ses yeux injectés de dégoût. Cossin, les épaules voûtées, tourna les talons et se dirigea vers la porte, sentant le regard moqueur d’Amina lui transpercer le dos. « Bonne chance pour trouver un travail, pauvre homme », ricana-t-elle en éclatant d’un rire sec qui résonna dans la cour. La porte se referma doucement, laissant Cossin seul avec le chant des oiseaux matinaux et l’amer parfum de l’échec.

L’Ombre du Marché

Pendant que Cossin errait dans les rues poussiéreuses de la ville, Amina, rongée par une frustration grandissante, sentit germer en elle une idée sombre, tel un champignon vénéneux poussant à l’ombre des baobabs. Elle se rendit discrètement au marché, lieu bruyant et coloré où les senteurs d’épices se mêlaient aux murmures des secrets. Sous un auvent de paille, une vieille femme au sourire malin lui tendit un petit flacon, dissimulé sous le comptoir comme un trésor maudit. « C’est puissant, ma chère. Quelques gouttes suffisent pour éliminer quelqu’un sans laisser de trace », chuchota la vendeuse, ses yeux perçants scrutant Amina. Le poison, d’un liquide ambré, scintillait faiblement à la lumière, évoquant le venin d’un serpent endormi. Amina paya rapidement, ses doigts tremblants serrant le flacon comme une relique de damnation. De retour à la maison, son cœur battait la chamade, rythmé par la peur et la détermination. Dans la cuisine, elle prépara le plat préféré de Cossin, un riz accompagné d’une sauce à la viande, dont l’arôme riche embaumait l’air. Un sourire froid s’épanouit sur son visage alors qu’elle versait quelques gouttes du poison dans la sauce, le liquide se fondant dans la nourriture comme un esprit maléfique. Elle imagina la scène : Cossin, rentrant épuisé, s’asseyant pour manger, ignorant le destin qui l’attendait. Son esprit flottait dans des pensées sombres, sans remords, convaincue que cet acte mettrait fin à sa souffrance. Le soleil, maintenant haut dans le ciel, illuminait la pièce, mais une ombre persistante planait sur le foyer.

Le Retour du Chasseur Vaincu

Cossin rentra à la maison, les épaules lourdes de découragement, chaque pas dans la poussière rappelant les portes closes et les regards indifférents qu’il avait croisés. Le soleil, ardent et impitoyable, semblait se moquer de ses efforts vains. En franchissant le seuil, il fut accueilli par le sourire étrange d’Amina, trop doux, presque irréel. « Bienvenue chez toi », dit-elle d’une voix calme, comme une brise légère avant l’orage. Elle posa devant lui un plat de riz nappé de sauce, l’odeur appétissante contrastant avec le malaise qui grandissait en lui. Cossin s’affala sur une chaise, épuisé, ses pensées embrouillées par la fatigue et le désespoir. Il tendit la main pour prendre la cuillère, mais un bruit soudain l’interrompit : son chat, un petit félin aux yeux perçants, sauta sur la table et se précipita sur la nourriture. « Arrête ! Ce n’est pas pour toi », cria Cossin, tentant de chasser l’animal, mais le chat, affamé, mangeait goulûment, comme poussé par une force invisible. Soudain, le félin s’arrêta net, ses yeux devenant vitreux, et poussa un miaulement étrange, rauque et douloureux. Il tomba sur le côté, se tordant dans des convulsions violentes, son petit corps secoué par des spasmes incontrôlables. Cossin, figé, regarda le chat rendre son dernier souffle, le silence de la pièce devenant assourdissant. Une froideur lui parcourut l’échine, son instinct lui criant que quelque chose de terrible venait de se produire.

La Révélation et la Fuite

Cossin se tourna vers Amina, son regard croisant le sien, froid et calculateur, comme celui d’un prédateur observant sa proie. « Qu’as-tu mis dans ce plat, Amina ? Qu’as-tu fait au chat ? » demanda-t-il, sa voix tremblante d’inquiétude, les mots résonnant dans le vide de la pièce. Amina ne répondit pas immédiatement, un léger sourire se dessinant sur ses lèvres, énigmatique et effrayant. « Je crois que j’ai assez attendu », dit-elle calmement, comme si elle commentait la météo, avant de se détourner et de se diriger lentement vers la porte. Avant que Cossin ne puisse réagir, elle avait disparu dans la cour, laissant derrière elle un silence lourd de trahison. Cossin, la gorge serrée, les mains tremblantes, resta figé, son esprit bouillonnant de questions sans réponses. Il regarda le plat de riz, la sauce maintenant froide lui paraissant suspecte, presque menaçante. Il comprit soudain qu’il avait échappé à la mort, son chat ayant sacrifié sa vie pour lui. Les minutes passèrent, puis les heures, mais Amina ne revint jamais. Cossin erra dans la maison, son cœur battant au rythme de la peur et de l’incompréhension. La nuit tomba, enveloppant le village dans son manteau sombre, et Cossin se rendit compte que la femme qu’il avait aimée avait franchi une ligne irréversible, fuyant dans l’obscurité comme un esprit en peine.

La Sagesse du Baobab : Sous les branches ancestrales du baobab, cette histoire nous enseigne que la rancœur et la colère, telles des lianes empoisonnées, peuvent étouffer l’amour et conduire à des actes irréparables. Amina, submergée par sa frustration, a choisi la trahison, croyant échapper à son fardeau, mais son poison a finalement emporté son propre bonheur, laissant derrière elle une solitude amère. Cette légende rappelle que dans les tempêtes de la vie, la patience et le dialogue sont des ancres plus solides que la vengeance. Aujourd’hui, face aux défis du chômage ou des conflits conjugaux, cette sagesse résonne encore : les solutions violentes ne guérissent pas les blessures, elles les approfondissent. Comme le baobab qui puise sa force dans ses racines profondes, puisons dans la compassion et le pardon pour traverser les épreuves, car c’est dans l’unité que réside la vraie richesse, bien au-delà de l’or ou du travail.

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