Points clés
- L’agression semble être une caractéristique normale du contenu des rêves humains, dans toutes les cultures.
- Les hommes semblent avoir plus d’agressivité physique dans leurs rêves, bien que certaines femmes en aient aussi beaucoup.
- Les rêves d’agression physique peuvent refléter fidèlement les agressions réelles dans la vie éveillée, de sorte qu’une augmentation soudaine peut être significative sur le plan thérapeutique.
Frapper, se battre, poursuivre, tirer, tuer : ce ne sont pas seulement des thèmes courants dans l’actualité quotidienne, ce sont aussi des caractéristiques récurrentes de nos rêves nocturnes. Peu d’études se sont intéressées spécifiquement à l’agression dans les rêves, même si Sigmund Freud, le fondateur de la psychanalyse, affirmait que « le penchant à l’agression est une disposition instinctive originelle et autosuffisante chez l’homme »(La civilisation et ses malheurs, 1930). La combinaison de méthodes de recherche anciennes et nouvelles peut nous éclairer sur la manière dont cet instinct primitif se manifeste dans nos rêves.
Qui fait des rêves agressifs ?
Le système d’analyse du contenu des rêves de Hall et Van de Castle (1966) comporte des codes pour trois types d’interactions sociales : amicales, sexuelles et agressives. Les recherches menées à l’aide du système HVDC ont permis de dégager quelques schémas de base concernant la fréquence de l’agression dans les rêves :
- Les hommes ont plus d’agressivité, surtout physique, dans leurs rêves que les femmes.
- Dans les rêves, les femmes sont plus souvent victimes qu’initiatrices de l’agression.
- Les rêves des enfants sont plus agressifs que ceux des adultes, surtout lorsqu’il s’agit d’attaques d’animaux.
- Les rêves des personnes âgées sont moins agressifs que ceux des jeunes.
Des centaines d’études ont utilisé la méthode HVDC au cours des dernières décennies, et leurs résultats confirment l’idée fondamentale selon laquelle l’agressivité est une caractéristique innée du rêve humain.
Pourquoi avons-nous des rêves agressifs ?
L’utilisation de technologies de recherche de mots pour identifier des schémas significatifs dans le contenu des rêves offre une perspective supplémentaire. La base de données sur le sommeil et les rêves (SDDb ) dispose d’un modèle avec une catégorie pour l’agression physique et une grande collection de rêves à étudier pour un thème spécifique comme celui-ci.
Les rêves de référence de la SDDb sont un bon point de départ – un ensemble de 5 321 rêves (3 227 femmes, 2 094 hommes) qui représentent un portrait composite du rêve en général (les rapports ont été donnés en réponse à une question sur « votre rêve le plus récent »). Bien que limités à bien des égards, les rêves de référence offrent une base empirique permettant d’établir des comparaisons entre différentes séries de rêves. Cela peut aider à identifier des tendances et des schémas qu’il serait difficile de voir autrement.
En appliquant la catégorie de recherche de mots pour l’agression physique aux lignes de base féminines, nous constatons que 15,1 % des rêves contiennent au moins un mot relatif à l’agression physique. En appliquant la même catégorie de recherche de mots aux hommes de la ligne de base, on obtient un résultat de 21,5% des rêves comportant au moins une référence à l’agression physique (le chiffre combiné de la ligne de base est de 17,6%). (Cette analyse confirme donc le résultat du système HVDC, à savoir que les rêves des hommes, en moyenne, semblent comporter plus d’agressions physiques que les rêves des femmes. Les dix principaux mots utilisés dans ces rêves sont les suivants : Frapper, tuer, combattre, poursuivre, tuer, tirer, combattre, poursuivre, guerre, tirer.
Si l’on examine les rêves des personnes qui les ont notés pendant une longue période, on constate que la fréquence des agressions physiques varie considérablement. Par exemple, « Tanya », une jeune femme, présente une proportion relativement élevée d’agressions physiques dans ses rêves (25,4%, sur 563 rapports), à peu près la même que « Lawrence », un homme plus âgé (25,7%, sur 206 rapports). Une autre jeune femme, « Jasmine », présente une faible proportion d’agressivité physique dans ses rêves (10,5%, dans 800 rapports), tout comme « RB », un homme plus âgé (11,8%, dans 51 rapports).
Il est clairement établi que les expériences d’agression physique dans la vie éveillée peuvent augmenter la fréquence de leur apparition dans les rêves. Les meilleurs exemples sont ceux de « Mike », qui a servi comme infirmier pendant la guerre du Viêt Nam et dont la collection de rêves comprend une proportion très élevée d’agressions physiques (76,3 %, dans 97 rapports). Dans les quatre séries de rêves de « Beverley » datant de 1986, 1996, 2006 et 2016, la première série comporte beaucoup plus d’agressions physiques (11,9 %, dans 253 rapports) que les trois autres (5,7 %, dans 687 rapports), ce qui reflète précisément son implication dans une secte religieuse violente au cours de cette période antérieure.
Pour mieux comprendre le rôle de la culture dans les rêves d’agression physique, la SDDb comprend également des ensembles de rêves de peuples non occidentaux, qui peuvent être analysés de la même manière. Chez les Mehinaku, peuple de la forêt amazonienne, une collection de 383 rêves comptait 22,5 % de rêves comportant au moins une référence à l’agression physique. Les rêves d’un groupe d’étudiants népalais (535) comportaient 18,1 % de références à l’agression physique. Trois groupes de membres d’églises africaines ont rapporté des rêves (142) avec une fréquence de 19% d’agressions physiques. Ces résultats sont suffisamment proches du chiffre global de 17,6 % de la base de référence SDDb pour suggérer que la culture n’est pas un facteur décisif dans cet aspect du contenu des rêves.
Conclusions
L’agression semble être une caractéristique normale du contenu des rêves humains, dans toutes les cultures.
Les hommes semblent avoir plus d’agressivité physique dans leurs rêves, bien que certaines femmes en aient aussi beaucoup.
Les rêves d’agression physique peuvent refléter avec précision les agressions réelles dans la vie éveillée, de sorte qu’un niveau inhabituellement élevé d’agression en rêve, ou un changement soudain dans les rêves vers un niveau plus élevé d’agression, peut être un signe précieux sur le plan thérapeutique.
De nombreux rêves d’agression physique ne reflètent toutefois pas des expériences réelles d’agression. Ces rêves peuvent utiliser la violence comme métaphore (par exemple, un rêve d’agression physique comme métaphore d’un sentiment de vulnérabilité émotionnelle). Ils peuvent refléter des cas d’agression fictifs (par exemple, vus dans un film). Il peut s’agir d’anticipations d’actes de violence susceptibles de se produire à l’avenir (par exemple, une simulation de menace).
L’agression dans les rêves peut être considérée comme une forme interne de jeu-combat, la forme de jeu la plus courante dans le règne animal, et très fréquente chez les humains également. Le jeu-combat permet de se préparer aux défis futurs, mais aussi de diminuer et de désamorcer les tensions émotionnelles qui peuvent conduire à la violence. Les mêmes dynamiques psychologiques du jeu-combat semblent être à l’œuvre dans le rêve.